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                sa place, aujourd'hui à droite, demain à gauche. 
                Ne le cherchez jamais où il était la semaine passée.
                Il coulait ici ; c'est une raison pour qu'il soit ailleurs. D'une 
                marée à l'autre il déménage.
                Ce filet d'eau qui raie la grève et qui la tranche en quelque 
                sorte comme le soc d'une charrue, c'est le Couesnon.
                Il est vrai que cette grande rivière, large comme la Loire, 
                on la passe sans mouiller ses jarretières.
                Dans ce cas-là, le Couesnon étale sur le sable une 
                immense nappe d'eau de trois pouces d'épaisseur ; le soleil 
                s'y mire, éblouissant. Vous diriez une mer.
                Et cette mer a ses naufrages, ses sables tremblent sous les pas 
                du voyageur ; ils brillent, ils s'ouvrent, on s'enfonce ; ils 
                se referment et brillent.
                Elle doit être terrible, la mort qui vient ainsi lentement 
                et que chaque effort rend plus sûre, la mort qui creuse 
                peu à peu la tombe sous les pieds même de l'agonisant, 
                la mort dans les tangues.
                Et que de trépassés dans ce large sépulcre 
                !
                Les gens de la rive disent que le deuxième jour de novembre, 
                le lendemain de la Toussaint, un brouillard blanc se lève 
                à la tombée de la nuit.
                C'est la fête des morts.
                Ce brouillard blanc est fait avec les âmes de ceux qui dorment 
                sous les tangues.
                Et comme ces âmes sont innombrables, le brouillard s'étend 
                sur toute la baie, enveloppant dans ces plis funèbres Tombelène 
                et le Mont-Saint-Michel.
                Au matin, des plaintes courent dans cette brume animée 
                ; ceux qui passent sur la rive entendent :
                -Dans un an ! Dans un an !
                Ce sont les esprits qui se donnent rendez-vous pour l'année 
                suivante.
                On se signe. L'aube naît. La grande tombe se rouvre, le 
                brouillard a disparu.