 
 
                
               La 
                route la plus sûre, par rapport aux dangers de la chasse, 
                aurait été celle qui mène directement à 
                Avranches et au bourg de Genest ; mais cette partie de la grève, 
                sillonnée par d'innombrables ruisseaux, affluents de la 
                Sée et de l'Hordée, présente des difficultés 
                si graves qu'on s'y hasarde à regret, même par le 
                grand soleil. Par la brume, c'eût été folie.
                Le petit Jeannin, qui avait pris d'autorité l'emploi de 
                guide, marcha sans hésiter à l'est du mont Saint-Michel, 
                dans la direction du bourg d'Ardevon, limite extrême de 
                la Normandie.
                Nous sommes bien forcés d'avouer que le petit Jeannin avait 
                les jambes un peu trop longues pour la robe de Reine, et que ses 
                mouvements hardis et découplés n'allaient pas au 
                mieux avec le chaste voile qui descendait sur ses cheveux blonds.
                Mais, à part ces détails, le petit Jeannin faisait 
                une Fée des Grèves très présentable, 
                et d'ailleurs il n'est pas mauvais qu'une fée ait en sa 
                personne quelque chose d'excentrique. Ce serait bien la peine 
                d'avoir un charme dans son petit doigt et de chevaucher sur des 
                rayons de lune, si on ressemblait trait pour trait à une 
                demoiselle de bonne maison !
                Jeannin avait de beaux cheveux bouclés, de grands yeux 
                bleus et un sourire espiègle. C'était plus qu'il 
                ne fallait.
                N'eût-il rien eu de tout cela, le brouillard, en ce moment, 
                aurait encore suffi à déguiser la supercherie.
                C'était un vrai brouillard, un brouillard à ne pas 
                voir son nez, comme on dit entre Avranches et Cherrueix.
                À peine les gens qui composaient la caravane eurent-ils 
                quitté le sommet de Tombelène pour entrer dans cet 
                immense nuage, qu'ils cessèrent incontinent de s'apercevoir 
                les uns et les autres.
                Ils marchaient côte à côte cependant. Chacun 
                d'eux pouvait entendre le pas de son voisin et sentir le vent 
                de son haleine.
                Mais l'oeil était pour tous un organe désormais 
                inutile.
                On ne distinguait rien. Pour apercevoir le sol vaguement et comme 
                à travers une gaze, il fallait s'agenouiller.
                Frère Bruno étendit son bras et sa main disparut 
                dans la brume.
                -Allons ! dit-il, voilà qui est bon ! ça me rappelle 
                l'aventure du bailli de Carolles et de 
                son âne. Ils se cherchaient tous deux dans le brouillard, 
                devant le rocher de Champeaux. L'âne 
                et le bailli firent soixante-dix-huit