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                sonna à la grosse horloge de la tour dont les cloches, 
                descendues depuis quelques jours, ne remplissaient plus de leurs 
                suaves mélodies les grandes grèves de la baie. Le 
                procureur-syndic, le citoyen Jacques Fromond et ses compagnons 
                suspendirent leur besogne, sortirent de l'abbaye et entrèrent 
                pour se restaurer dans une guinguette révolutionnaire, 
                la Licorne Rouge qui se cachait au fond d'une ruelle, non loin 
                du beau logis que Bertrand Duguesclin avait fait construire en 
                1366 à sa loyale épouse, la douce fée, Tiphaine 
                Raguenel. 
                Le repas fut gai; le procureur songeait à la longue énumération 
                des pièces saisies qu'il annexerait à son rapport 
                et I'expert-joaillier, amené d'Avranches, supputait déjà 
                les bénéfices qu'il réaliserait en versant 
                dans les coffres du Trésor Public le montant, très 
                éloigné de la valeur réelle, des objets achetés 
                comme biens nationaux. 
                Le café pris, les citoyens remontèrent travailler. 
                Conformément aux ordres donnés par le procureur-syndic, 
                des hommes de peine, « sous la surveillance de gardiens 
                probes et intègres », (on aime à prodiguer 
                dans les époques de pillage qualificatifs les plus honorables), 
                les hommes de peine, disons-nous, avaient rempli plusieurs cuveaux 
                de tous les ex-vetos qui ornaient la chapelle de saint Michel 
                en la Nef. Une des cuves contenait exclusivement tous les cœurs 
                d'or, d'argent et de cuivre que les fidèles pèlerins, 
                au cours de ces siècles, avaient accumulés autour 
                de l'archange, en reconnaissance de grâces obtenues.